J’ai peur que tu meurs

Par Katrine Delorme

J’ai peur que tu meurs. Souvent. Qu’une auto percute ton petit corps, que la nuit t’emporte, que la fièvre t’étouffe, que ta féminité te soit volée. J’ai peur que la vie te fasse mal.

Depuis que je suis maman, j’ai peur. Le devenir aura été la plus grande épreuve de ma vie. L’être, comme je le souhaite, comme j’ai envie de l’être, sera toujours un défi. Parce que j’ai peur, peur d’affaires qui ne m’avaient jamais traverser l’esprit auparavant.

Et tout ça, je ne veux pas que tu le saches. Surtout pas. Je veux t’éduquer, te proposer des avenues, des façons de voir les choses, mais je veux, avant tout, que tu te forges tes propres idées. Et je ne voudrais pas qu’elles soient influencées par mes craintes. Ça ne donnerait rien de bon. Rien de beau. Car belle tu le seras. Nous le sommes toutes. Maman, « arrête » tu me diras. Je comprends, c’est gênant quand les mamans ont raison. Mais saches, ma fille, qu’il n’y a rien de plus vrai. Tu es belle. Tu le seras toujours pour moi.

Je ne voudrais pas que la vie sape cette beauté, la bafoue, la dilue dans quelque chose de laid.

Parce que ça fait un peu plus de neuf mois qu’on vit dans 2020, qui s’y brasse des grosses affaires, que la planète s’est révoltée et qu’on y trouve peu de douceur. Elle nous a envoyé un message clair, nous a forcé à changer nos habitudes. Elle espère qu’on maintiendra ces changements pour l’avenir. Et malheureusement, ma chérie, on ne sait pas si ça perdurera, mais au moins on sait que ça se peut. Y’a l’humain aussi, qui s’est rebellé. Contre l’injustice, l’injustice colorée et sexuelle qui nous rentre dedans de plein fouet. Qui, lui aussi, nous dit qu’il serait temps que ça change. On a absorbé beaucoup de malheur en neuf mois et je t’avoue que je ne trouve pas ça facile émotionnellement parlant, et ce, même si on veut que ça continu parce qu’on en a plus que besoin de ces changements-là, pour que le monde dans lequel tu évolue soit meilleur. Une partie de moi a encore plus peur. Peur que ton monde soit laid, parsemé de bombes qui explosent, de feux de forêt qui n’en finissent plus, de noyades dans nos eaux québécoises et j’en passe.

Mais on ne peut pas passer notre vie à avoir peur. Il faut la célébrer, la goûter, la chanter à voix basse et la crier à voix haute. Il faut tout ça en même temps.

J’espère, ma chérie, que ton monde sera beau.

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