Accoucher en solo

Par Élisabeth Chevrier

Ce n’était pas prévu comme ça, évidemment. J’avais visualisé mon accouchement au côté de mon chum. Je me voyais lui tenir la main; chercher un peu de courage en le regardant dans les yeux. Je lui avais demandé s’il voulait couper le cordon ombilical et même s’il voulait aller chercher le bébé lors de la dernière poussée… finalement, le virus est arrivé. Il a changé les plans. À lui seul il a tout amené… mes attentes, mes espoirs et tout ce qui vient avec l’image que je m’étais faite d’un accouchement. Déjà, j’accouchais dans un autre pays; c’était pour moi un défi, mais ça, j’avais eu le temps de me faire à l’idée.

Ce jour-là, au lieu que mon chum conduise en fou vers l’hôpital comme dans les films, il m’a déposé à l’entrée avec ma petite valise. Il a enlevé son masque, m’a embrassé et je lui ai dit « je t’appelle quand tu seras papa ». Une infirmière est venue me chercher et elle m’a conduit dans une chambre d’accouchement.

J’ai attendu seule dans ma robe bleue d’hôpital que ce soit mon tour.

Après deux heures trente, c’est là que tu es arrivée. Tu m’as expliqué que tu allais être celle qui me donnerait une épidurale. Tu m’as dit que le personnel médical ne parlait ni français ni anglais. Mais tu m’as dit que tu allais rester avec moi. Que tu allais m’expliquer tout ce qui allait se passer; étape par étape. Je me suis alors couchée sur le lit d’hôpital et une infirmière et toi m’avez amené au bloc opératoire.

Je ne t’ai pas lâché du regard une seconde. Je ne crois pas avoir développé un lien aussi fort avec une personne aussi rapidement qu’avec toi. Tu t’es assises à ma droite; j’ai pris ta main. Derrière ton masque, je sais que tu souriais. Tu me parlais tout le temps, je m’accrochais à chacun de tes mots. Je cherchais le calme dans tes yeux. Quand les médecins sont arrivés, je n’ai même pas tourné la tête; dans cette salle, il n’y avait que toi et moi. C’était surréaliste tout ça.

Quand mon premier bébé est arrivé, tu m’as dit de tourner la tête; que ma fille était belle. J’ai regardé vers la gauche. Elle était là. J’ai souri, mais j’ai rapidement retourné ma tête vers toi. Un autre arrivait, j’avais besoin de toi encore un peu.

Je ne connais pas ton nom. Je ne crois pas que nous allons nous revoir. En fait, après la naissance de mes jumeaux, je ne t’ai jamais revu. Tu ne sais probablement pas que tu as fait toute la différence. Mon histoire d’accouchement aurait pu être un cauchemar, un souvenir douloureux. Grâce à toi, je garde un beau souvenir de la naissance de mes bébés. Sans être ce que j’avais souhaité, tu me permets de sourire un peu lorsque je pense à cette journée. Tu ne sauras possiblement jamais l’importance que tu as eue ce jour-là. Tu ne liras jamais ces lignes. Mais je tenais à les écrire pour tous ces infirmières et ces infirmiers qui à eux seuls peuvent réécrire une partie d’une histoire qui ne se déroule pas comme prévue. Qui deviennent des personnages principaux dans notre roman de vie sans vraiment le savoir.

Merci d’avoir été rassurante. D’avoir pris le temps.

Merci d’avoir permis que cette journée soit douce.

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